«La vaccination n’est pas seulement une affaire personnelle mais aussi une question de responsabilité envers d’autres personnes.»
Jan.. 2014Les vaccinations
Entretien avec Hans-Peter Roost. Près d’un tiers des personnes touchées par l’épidémie de rougeole de 2006 à 2009 vivaient dans le canton de Lucerne. Conséquence: ce canton de Suisse centrale a réintroduit récemment les vaccinations à l’école pour améliorer la couverture vaccinale de la population. Un entretien de «spectra» avec Hans-Peter Roost, responsable des maladies infectieuses et suppléant du médecin cantonal du canton de Lucerne aborde la motivation des médecins scolaires, le fédéralisme et la vaccination comme acte de solidarité.
spectra: L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la Commission fédérale pour les vaccinations publient le plan de vaccination suisse avec toutes les recommandations pour le corps médical. Quelle est l’importance de ce plan pour vous?
Hans-Peter Roost: Elle est très grande. Ce plan pose le fondement d’une approche uniforme dans toute la Suisse. Il est régulièrement réactualisé, ce qui est très positif.
C’est donc un document essentiel pour vous ...
Oui, et nous le prenons bien entendu très au sérieux. Au niveau cantonal, il nous incombe de mettre le plan en œuvre et de communiquer les nouveautés aux médecins scolaires.
Echangez-vous avec d’autres cantons?
Oui, il arrive que nous abordions par e-mail des questions de vaccination spécifiques avec des experts d’autres cantons. Cela fonctionne très bien. Sur le plan de la vaccination, il n’y a guère de questions, en revanche la question de l’ «off-label use» ou «usage hors étiquette» nécessite quelques explications. C’est lorsque l’Office fédéral de la santé publique et la Commission fédérale pour les vaccinations recommandent une vaccination que Swissmedic n’a pas ou pas encore autorisée. C’est un problème pour les médecins qui assument la responsabilité de l’utilisation des vaccins. Il est nécessaire que l’OFSP et Swissmedic clarifient ce point.
Les médecins s’adressent-ils à vous dans de tels cas?
Pour l’utilisation «hors étiquette» oui, mais moins pour des questions directes sur la vaccination. Le plan de vaccination est très bien fait. Les questions concrètes sont plutôt traitées dans les réseaux d’experts tels qu’Infovac.
Y-a-t-il des différences entre les cantons en matière de vaccination?
Oui, chaque canton a son système, et il est important de pouvoir s’adapter aux situations locales. Les cantons ont des échanges ponctuels, mais ils pourraient profiter encore davantage les uns des autres. Il faudrait instaurer un échange systématique du savoir-faire. Les possibilités d’optimisation sont encore nombreuses, précisément en ce qui concerne les programmes de vaccinations scolaires.
«Les cantons pourraient profiter encore davantage les uns des autres. Il faudrait instaurer un échange systématique du savoir-faire.»
Quels sont les facteurs qui permettent d’atteindre les objectifs d’immunisation au niveau cantonal?
Ces facteurs se situent, d’une part, au niveau du système et, d’autre part, au niveau des groupes cibles. Au niveau du système, il s’agit de mesures telles que la vaccination à l’école. Le canton de Lucerne l’avait abrogée en 1996. Mais nous avons eu ensuite cette épidémie de rougeole qui a sévi en Suisse de 2006 à 2009. Un quart des cas de rougeole provenaient à l’époque du canton de Lucerne. Dans un postulat, la vaccination à l’école a été requise et réintroduite au début de l’année scolaire 2013/14. Ce genre de mesures est très durable, mais nécessite aussi de gros investissements. Au niveau des groupes cibles, une communication crédible en particulier par le corps médical, joue un rôle essentiel.
C’est donc l’épidémie de rougeole qui a déclenché la réintroduction de la vaccination dans les écoles à Lucerne?
Oui, car cette épidémie a suscité un écho international. Lucerne est un lieu très touristique et, qui plus est, 2008 était l’année du championnat d’Europe de football. Soudain, des mises en garde envers les voyages en Suisse centrale ont été diffusées par diverses sources. Ne voulant plus être le point chaud de l’épidémie de rougeole, les Lucernois ont réagi. En 2006, la couverture vaccinale avec deux doses était encore de 65 pourcent chez les petits Lucernois de deux ans; en 2010, nous étions déjà dans la moyenne suisse, avec 82 pourcent. Si les objectifs ne sont pas encore atteints, nous avons fortement progressé et n’avons été qu’effleurés par les récentes flambées de rougeole. Cette épidémie a véritablement réveillé les consciences chez les politiques et je pense qu’elle a suscité un mouvement de sensibilisation au sein de la population.
Le taux de vaccination trop bas est en fait un problème de luxe: les Suissesses et les Suisses ont un tel sentiment de sécurité qu’ils estiment être dispensés de vaccination. Cette thèse vous parait-elle exacte?
Il existe effectivement un décalage intéressant. Les vaccinations nécessaires pour les voyages ne suscitent que très rarement des réticences. C’est tout à fait différent avec les vaccinations de base. Si l’on pense à la variole, à la poliomyélite ou à la diphtérie, on voit bien que les vaccinations font partie des plus grandes réussites de la médecine, car c’est bien la vaccination qui a permis de les faire reculer très fortement, voire de les éradiquer.
«Si l’on pense à la variole, à la poliomyélite ou à la diphtérie, on voit bien que les vaccinations font partie des plus grandes réussites de la médecine, car c’est bien la vaccination qui a permis de les faire reculer très fortement, voire de les éradiquer.»
Mais le succès n’est pas directement visible car on n’est plus conscient du nombre de cas de maladie qui ont été évités. C’est pourquoi les esprits se focalisent sur ce qui est visible ou ressenti, c'est-à-dire sur les effets secondaires possibles, même s’ils sont rares.
Comment êtes-vous parvenus à maintenir la conscience de la nécessité de la vaccination contre la rougeole après l’épidémie et à réintroduire la vaccination à l’école?
Tout repose sur la décision démocratique du gouvernement cantonal de réintroduire la vaccination à l’école. Pour réussir, nous pouvons également compter sur l’engagement des médecins scolaires dont une majorité participe à la réintroduction des vaccinations volontaires à l’école. Enfin, nous avons une bonne coopération avec l’association des communes et des écoles lucernoises.
Les organisations de caisses-maladie se sont être élevées contre la réintroduction de la vaccination à l’école?
L'existence de deux associations de caisses-maladie a rendu les négociations plus difficiles. Les négociations ont été très dures en matière de tarifs qui étaient la question litigieuse majeure entre les médecins et les caisses-maladie. Dans ces négociations, nous avons joué un rôle de médiateur.
Et quelle est la solution?
Nous avons négocié des contrats séparés avec les deux organisations. Au niveau des tarifs, les contrats sont identiques, mais certains contenus diffèrent. Et cela complique l’introduction des vaccinations volontaires à l’école.
Vous avez dit un peu plus haut que la majorité des médecins scolaires participent à la vaccination à l’école. Cela signifie que certains d’entre eux ne le font pas.
Oui, et parmi ces réfractaires, il existe deux groupes différents. D’une part, ceux qui ont une attitude critique envers la vaccination; il s’agit majoritairement de praticiens des médecines alternatives qui font preuve d’un enthousiasme plus que modéré face aux vaccinations. Dans l’autre groupe, nous trouvons des médecins favorables à la vaccination, mais qui ne s’engagent pas pour la vaccination à l’école. Pour eux, cette dernière est tout simplement trop compliquée, ou trop mal payée aussi. Ils considèrent la vaccination et le conseil en cabinet comme meilleurs et certains ne nient pas non plus trouver la rémunération plus juste lorsque les vaccinations sont effectuées dans leur cabinet et facturées via les caisses-maladie. Je comprends certains arguments, car vacciner dans les écoles représente effectivement un surcroît de travail y compris pour les écoles. Pour y remédier, la vaccination a été intégrée dans les examens médicaux obligatoires pratiqués à l’école, en laissant une marge de manoeuvre organisationnelle aux médecins scolaires. Mais la confrontation a été et est toujours intense. Un groupe réunissant des représentants des écoles et des médecins a été constitué pour accompagner le processus d’introduction. Certes, il n’a pas été possible de tenir compte de chaque opinion des nombreux acteurs, mais en peu de temps nous avons pu convaincre de nombreux médecins scolaires et, comme je l’ai dit, la majorité nous soutient.
Quels sont les avantages de la vaccination à l’école sur la vaccination en cabinet médical?
Des études ont montré que les cantons qui ont des programmes de vaccination à l’école affichent une couverture vaccinale nettement plus élevée pour les vaccinations de base officiellement recommandées contre la rougeole/les oreillons/la rubéole, la poliomyélite, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la varicelle et l’hépatite B. L’école permet aussi d’atteindre les enfants, resp. les parents, qui ont tout simplement oublié la vaccination. Notre programme de vaccination, gratuit, repose sur le libre choix.
«Notre programme de vaccination, gratuit, repose sur le libre choix. Personne n’est contraint à se faire vacciner à l’école, ou à se faire vacciner tout court.»
Personne n’est contraint à se faire vacciner à l’école, ou à se faire vacciner tout court. Pour qui préfère aller chez le médecin et souhaite un conseil individuel, cela reste possible. La vaccination à l’école n’est qu’une offre élargie.
Que doivent faire les parents dans le canton de Lucerne lorsqu’ils ne souhaitent pas faire vacciner leur enfant, ou le faire vacciner chez le médecin de famille?
Jusqu’ici, le médecin scolaire contrôlait les carnets de vaccination au moment des examens médicaux obligatoires à l’école et émettait une recommandation vaccinale. Sur une carte, les vaccinations recommandées étaient cochées. Ensuite, les parents pouvaient aller chez leur médecin et faire vacciner leur enfant, ou non. Rien n’a changé en la matière, sauf que les parents ont désormais une nouvelle option, celle de la vaccination gratuite à l’école. Ils peuvent cocher sur une carte si et contre quoi leur enfant doit être vacciné. En aucun cas un enfant ne peut être vacciné sans l’autorisation écrite des parents.
Vous avez déjà mentionné les difficultés lors de la réintroduction de la vaccination à l’école. Par exemple les médecins qui craignent pour leurs acquis. Comment les choses se sont-elles passées avec les écoles qui sont déjà bien chargées en activités extrascolaires?
En tant qu’ancien enseignant, j’ai le plus grand respect pour ce que les écoles font. C’est pourquoi nous tenions particulièrement à intégrer au maximum la vaccination dans des processus existants et à minimiser ainsi la charge administrative. Mais il n’était pas possible d’éviter tout surcroît de travail. Nous avons informé sur place dans toutes les conférences de recteurs et avons entendu les suggestions et les besoins. Nous sommes désormais dans l’année pilote et procèderons ensuite à une évaluation pour optimiser les processus.
Comment les parents réagissent-ils?
La vaccination à l’école vient juste de démarrer, nous n’avons donc pas encore suffisamment de retours. Cela va certainement changer. Toutefois, les parents s’adresseront plutôt à l’école ou au médecin scolaire. Mais bien entendu, nous sommes prêts à répondre aux questions.
Existe-t-il du matériel d’information pour les parents?
Oui, nous les informons par le biais de la lettre aux parents qui existe déjà, ainsi que sur notre site Internet sur lequel nous mettons en ligne des témoignages d’experts et de personnes concernées, en coopération avec l’Office fédéral de la santé publique. Bien entendu, nous répondons aussi aux questions de manière personnelle.
La campagne nationale pour l’élimination de la rougeole est en cours. Quelle est l’attitude du canton de Lucerne?
Compte tenu de la dernière épidémie, nous saluons que la Confédération ait pris le taureau par les cornes et qu’il existe une stratégie uniforme. Mais la stratégie est vaste et complexe et nos ressources sont limitées. C’est pourquoi nous nous concentrons actuellement sur la réintroduction de la vaccination à l’école et insistons tout particulièrement sur la communication.
Ne serait-il pas préférable que les cantons et les communes embauchent des médecins scolaires et renoncent au système de milice?
C’est déjà le cas aujourd’hui dans les grandes villes de Suisse. Et ce système apporte de nombreux avantages. Dans les régions rurales, il n’est pas applicable, faute de ressources suffisantes.
Certains cantons ne pratiquent pas de vaccination à l’école. Pourquoi?
Ce sont les effets du fédéralisme. Mais je pense que l’on pourrait gagner encore des cantons à la cause de la vaccination à l’école s’il existait un échange systématique. Il existe toutes sortes de systèmes et de manières de procéder, et tous les cantons pourraient profiter de ce riche savoir-faire. À mon avis, il serait possible de motiver aussi d’autres cantons.
Quel pourrait être le rôle de la Confédération?
Elle pourrait créer, par exemple, des structures semblables à celles existant pour la mise en œuvre des plans d’action cantonaux alcool. Ici, des réunions régulières sont organisées, lors desquelles les cantons parlent de leurs programmes dans le domaine de l’alcool ou échangent sur leurs différentes activités.
Comment réagissez-vous face aux critiques en matière de vaccination?
Les critiques et les questions nous parviennent souvent directement, et nous y répondons aussi. Le dialogue est essentiel et il faut prendre au sérieux les arguments des opposants. Pour les vaccinations recommandées au niveau national, le succès est très clairement démontré. Nous sommes armés pour le dialogue avec les détracteurs et disposons de connaissances et d’expériences larges dans ce domaine. Par exemple, la vaccination contre la rougeole est pratiquée depuis plus de quarante ans et les connaissances sont très vastes au niveau international, tant sur son efficacité que sur les effets secondaires. Pourtant, il y a encore des progrès à faire en matière de communication. C’est notre devoir, à nous experts, mais les médias doivent aussi assumer leur responsabilité. Friands de controverses, ils accordent volontiers un poids disproportionné dans l’information à un nombre proportionnellement peu élevé de détracteurs. Nous savons que les vaccins peuvent conduire à des effets secondaires graves. Mais le risque est très faible par rapport à celui de la maladie évitée. La nouvelle loi sur les épidémies règle la prise en charge de ces cas isolés.
Estimez-vous que c’est le rôle de l’Etat de promouvoir la crédibilité des vaccinations?
Oui, car le plan de vaccination émane de l’Etat. Pour nous, ce sont les personnes dépassées et désécurisées par la complexité des vaccinations qui comptent le plus. Je pense avant tout aux parents. C’est là qu’il faut s’engager, et non dans une bataille de croyances. L’Etat, mais aussi les cantons, s’engagent dans la communication sur les vaccinations. Je trouve le modèle du canton de Lucerne pertinent, avec son comité d’experts qui s’engage aussi publiquement. Ce sont des gens qui connaissent les maladies évitées par la vaccination de par leur activité en cabinet, leurs recherches scientifiques ou leur travail médical à l’étranger. Ils ont constaté les dégâts causés par ces maladies. Ou ce sont des gens qui ont souffert de l’une de ces maladies et qui savent qu’elle n’était pas bénigne. Ces personnes sont crédibles.
Défendre la vaccination contre des oppositions n’est pas nouveau pour vous personnellement…
C’est exact. J’ai mis sur pied, dans le temps, la promotion nationale de la vaccination au sein de l’OFSP. J’ai compris l’ampleur du défi pour communiquer avec succès les recommandations en matière de vaccination. Je comprends aussi que les vaccinations ne soient pas le premier souci d’une jeune maman. D’autant plus qu’Internet déverse des flots d’informations en la matière, y compris très critiques et critiquables. Il n’est pas non plus très facile de saisir la nécessité de se faire vacciner contre une maladie que l’on n’a jamais vue. Pour améliorer les choses, il faut avoir une vision globale du cycle de vie, de la naissance au grand âge. Les premières personnes clés sont donc les gynécologues et les sages-femmes, puis les pédiatres et le conseil aux parents, et ensuite les crèches, les écoles et l’école de recrues. Il existe une foule de possibilités d’aborder les questions de vaccination. Par exemple, le médecin pourrait aussi inciter ses patients à apporter leur carnet de vaccination lors d’une consultation, même si ce n’est pas l’objet de la consultation. Le système de rappel tel qu’il est déjà pratiqué par les dentistes ou les gynécologues pourrait aussi servir à la vaccination. Il serait ainsi possible de beaucoup progresser au niveau individuel.
La stratégie est donc celle des petits pas à tous les niveaux. Comment mieux présenter l’importance de la vaccination dans la conscience collective?
Il faudrait faire en sorte que la grande majorité silencieuse qui se fait vacciner devienne audible. Nous entendons trop de voix critiques envers la vaccination. Certes, il faut les prendre au sérieux et les écouter, mais les personnes qui ne se font pas vacciner ne sont qu’une petite minorité en Suisse. C’est pourquoi nous voudrions donner la parole à des experts et à des personnes concernées pour renforcer la conscience que la vaccination n’est pas seulement une affaire personnelle mais aussi une question de responsabilité envers d’autres personnes, y compris d’autres pays. N’oublions pas que près de 150'000 personnes meurent encore chaque année de la rougeole dans le monde, principalement des enfants. Nous parlons ici de solidarité. Lors de la grande épidémie de rougeole de 2006 à 2009, la Suisse a sans doute exporté la rougeole dans différents pays qui n’ont pas un système de santé équivalent au nôtre. Comment exclure avec certitude que personne n’en a subi des conséquences irrémédiables?