Rencontre internationale d’experts en matière de substitution à Genève
Jan.. 2013Santé publique et éthique
Conférences sur la dépendance aux opiacés. Les 18 et 19 octobre 2012, deux conférences ont eu lieu conjointement au Centre International des congrès de Genève sur le traitement de la dépendance aux opiacés: le 3ème Colloque international francophone sur le traitement de la dépendance aux opioïdes (TDO) ainsi que la 3ème Conférence nationale sur la substitution (NaSuKo). Ces deux manifestations ont réuni plus de 450 spécialistes venus de Suisse et d’autres pays francophones.
La Conférence nationale sur la substitution (NaSuKo), qui a lieu tous les cinq ans, permet de dresser à chaque fois un bilan de la situation en la matière et de discuter des possibilités de développement dans ce domaine. Par traitement de substitution il faut entendre le remplacement, sur prescription médicale, d’un opioïde illégal (généralement l’héroïne) par un médicament légal (produit de substitution). Les principaux produits de substitution sont actuellement la méthadone, la buprénorphine et la diacétylmorphine (héroïne pure). De premières recommandations rudimentaires en matière de traitements de substitution ont été définies à l’occasion de la première NaSuKo, en 2002. Elles servent de référence principalement aux médecins de famille qui soignent plus de la moitié des patients bénéficiant de traitements médicaux pour dépendance aux opiacés en Suisse. Cette année, la SSAM (Société suisse de médecine de l’addiction) a présenté une nouvelle version des recommandations cliniques, basées sur les données scientifiques actuelles. Pascal Strupler, directeur de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a souligné, dans son allocution de bienvenue, l’importance de poursuivre ces développements. Ces efforts ont permis de réaliser l’une des plus anciennes aspirations de l’OFSP en matière de politique de drogues, à savoir faire reposer les méthodes de traitement sur une recherche clinique et empirique. Ce qui est évident pour toute autre maladie se révèle particulièrement ardu avec le traitement basé sur la substitution. Comme en Suisse durant de longues années, ces traitements suscitent encore en maints endroits dans le monde de fortes réticences d’ordre moral et une méfiance à l’égard des connaissances scientifiques qui en étayent pourtant leurs résultats.
Fil rouge: la législation et son impact
Les cadres légaux régissant les traitements de substitution et leurs contextes politiques nationaux ont constitué l’un des fils rouges du 3ème Colloque international francophone sur le traitement de la dépendance aux opioïdes (TDO). Le TDO, organisé pour la première fois à Montréal en 2008, a lieu tous les deux ans. Il permet d’échanger sur les progrès réalisés dans les traitements de substitution et sur leur utilité. Etaient présents, pour la première fois, des représentants du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de l’Egypte, du Liban et du Cameroun, où les traitements de substitution commencent à s’établir ou à être considérés comme une option envisageable. Certaines contributions traitant du thème-clé du TDO ont été présentées conjointement aux deux conférences, comme par exemple l’exposé de Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale et membre de la Global Commission on Drug Policy, qui s’est exprimée sur la criminalisation des personnes dépendantes et ses effets sur leur santé. Elle a ensuite plaidé en faveur d’une démarche politique pragmatique et de projets concrets innovants. Le professeur Olivier Guillod de l’Université de Neuchâtel a présenté une étude comparative, sur mandat de l’OFSP, des législations en vigueur en France, en Belgique, au Canada, en Tunisie et en Suisse, concernant les traitements de substitution. La Suisse, où des médecins spécialisés peuvent prescrire de la diacétylmorphine, selon des modalités légales strictes, se situe ici parmi les pays les plus avancés. En France, par exemple, la méthadone ne peut être prescrite que par des médecins dans des cliniques spécialisées, les médecins de famille ne pouvant prescrire que de la buprénorphine. Au Liban, seuls les psychiatres peuvent prescrire des produits de substitution. Ces réglementations restrictives peuvent être considérées comme une motion de défiance du législateur envers les traitements de substitution et les patients dépendants. Elles ne contribuent pas à les rendre attractifs, alors que tous les pays connaissent une pénurie de médecins prêts à accepter des patients dépendants aux opiacées et à leurs prescrire les médicaments de substitution. La charge administrative importante liée à de tels traitements et le contact parfois difficile avec les patients dépendants aux opiacés découragent de nombreux médecins. Pour soutenir les médecins de famille dans cette tâche, le Collège romand de médecine de l’addiction (COROMA), le Forum Suchtmedizin Ostschweiz (FOSUMOS), le Forum Suchtmedizin Innerschweiz (FOSUMIS) et Ticino Addiction ont lancé la plate-forme www.praticien-addiction.ch. Les médecins y trouvent des informations détaillées sur les modalités de traitement de toutes les substances addictives.
La Suisse, un modèle
Qui peut prescrire quels produits de substitution, à qui et dans quelles conditions? Comment créer un accès large aux traitements de substitution? Quels sont les besoins en soutien des médecins en la matière? Autant de questions qui préoccupent actuellement tous les Etats. Les spécialistes des drogues de nombreux pays envient la Suisse et sa grande marge de manœuvre qui lui a permis, au début des années 1990, d’expérimenter de nouvelles mesures, et de développer des réponses efficaces aux problèmes de l’époque. Une liberté que les experts, rassemblés à Genève, exigent aussi de leurs décideurs politiques. Or, dans certains pays, c’est la tendance inverse qui se dessine. Au Québec par exemple, le gouvernement a décidé de ne pas introduire le traitement avec prescription d’héroïne – malgré les résultats positifs d’une étude-pilote accompagnée scientifiquement. En Suisse aussi, des voix répressives regagnent en importance – face aux difficultés de certaines villes à contrôler le commerce de drogue dans les rues. En France et en Belgique en revanche, la pression des grandes villes en faveur d’un assouplissement des possibilités de prescription fortement restrictives, crée un espoir. A l’issue des deux conférences, le message principal des spécialistes est clair: abandonner des positions rigides, retenir et adapter les mesures pertinentes et efficaces.