
Interdire la publicité pour le tabac et l’alcool protège la santé
Mai. 2014Alliances – les champs du possible
Éditorial. La publicité transmet aux enfants et aux adolescents une image positive de l’alcool et du tabac. Qu’ils soient les cibles déclarées des messages publicitaires ou pas importe peu. Controversées au niveau politique, les interdictions totales de publicité – accompagnées par d’autres mesures – offriraient pourtant une meilleure protection contre les influences néfastes et les stratégies publicitaires subtiles des fournisseurs de tabac et d’alcool. En Suisse, la liberté en la matière est bien supérieure à celle offerte par les autres pays européens.
La recherche est largement unanime: la publicité conduit les jeunes consommatrices et consommateurs à boire de l’alcool. La publicité pour l’alcool accroît la probabilité que les jeunes commencent à boire et que ceux qui boivent déjà augmentent leur consommation. Une étude de l’Institut de recherche sur les addictions, conduite en 2004, montre que les jeunes ayant réagi plus positivement à la publicité à l’âge de 18 ans étaient, à 21 ans, des consommateurs d’alcool plus assidus et connaissaient davantage d’agressions liées à la boisson.
De nombreuses études attestent également une corrélation entre publicité et tabagisme chez les jeunes, que ces derniers la perçoivent consciemment ou non. Lorsqu’ils sont davantage exposés à la publicité pour les cigarettes, les jeunes ont davantage tendance à commencer à fumer que s’ils étaient moins ou pas du tout exposés.
L’envie d’être adulte
Les restrictions publicitaires visent prioritairement à protéger les jeunes. Mais en l’état actuel des choses, leur efficacité est limitée. Les accords de restrictions volontaires ou auto-restriction des producteurs prescrits par la loi, selon lesquels la promotion de l’alcool et du tabac ne doit pas s’adresser directement aux jeunes mais uniquement aux adultes, sont en grande partie inefficaces. En effet, même si elle ne représente pas de jeunes, la publicité fait passer des émotions et un ressenti du monde des adultes auxquels les jeunes aspirent. Au moment où ils développent leur identité, les jeunes sont très réceptifs aux messages et aux symboles propres au monde des adultes. «La publicité pour les adultes» ne protège donc pas la jeunesse mais accroît encore l’attrait du tabac et de l’alcool.
En Suisse, le comportement des fabricants d’alcool et de produits du tabac est d’ailleurs largement conforme à la loi en matière de publicité et de protection de la jeunesse. Les restrictions nationales concernant avant tout la publicité à la télévision et à la radio, ils transfèrent aujourd’hui tout simplement leurs activités de marketing sur les secteurs qui restent autorisés, notamment vers le sponsoring.
Sponsoring et protection de la jeunesse
Le sponsoring d’événements sportifs ou musicaux (festivals), largement pratiqué en Suisse, est révélateur du peu d’efficacité de la loi en matière de protection de la jeunesse. Ces manifestations sont fréquentées par des milliers de jeunes. Les matchs de foot ou de hockey offrent aux fabricants de bière en particulier une occasion en or de toucher très directement et en toute légalité leur public cible, les adolescents et les hommes jeunes. Or, il s’agit précisément du groupe de population le plus susceptible de développer une consommation d’alcool problématique et, donc, du groupe auquel l’industrie de l’alcool doit une part importante de son bénéfice. Des contraintes significatives en matière de protection de la jeunesse et des mesures de prévention particulièrement adaptées à ce groupe à risque constitueraient une amélioration importante du point de vue de la politique de santé lors de grandes manifestations sponsorisées.
Difficilement contrôlable: la publicité en ligne
La publicité croissante sur Internet, le média des jeunes par excellence, est également en conflit avec la protection de la jeunesse, mais pas avec la loi en vigueur. Les fabricants de boissons alcooliques ont dépensé près de 284 millions en 2010 (contre 155 millions en 2008) pour la publicité en ligne classique telle que les bannières et celle des moteurs de recherche. Le tabac n’est pas en reste, car Internet offre également à l’industrie du tabac une nouvelle plate-forme de publicité difficilement contrôlable. L’arme est d’ailleurs à double tranchant: d’une part, les jeunes sont directement confrontés à la publicité pour l’alcool ou les cigarettes ou à la présence des fabricants sur le web et, de l’autre, ils assument eux-mêmes le rôle de multiplicateurs publicitaires dans la mesure où, suivant les possibilités et les principes du réseaux sociaux, ils fabriquent eux-mêmes ou transmettent du contenu. La nouvelle loi sur les produits du tabac veut clarifier la situation dans ce secteur au sens de la protection des mineurs et interdire à l’avenir la publicité en ligne pour les produits du tabac.
Interdictions de la publicité pour le tabac: d’autres pays vont plus loin que la Suisse
La Suisse est l’un des pays européens à la législation la plus laxiste en matière d’interdiction de publicité pour le tabac au niveau fédéral. Elle fait partie, par exemple, avec l’Allemagne et la Bulgarie, des seuls pays ne disposant pas de restrictions nationales touchant la publicité extérieure pour le tabac. Dans tous les autres pays européens, cette forme de publicité est interdite. Quant à la publicité pour le tabac dans les médias imprimés, la Suisse fait cavalier seul: elle est le seul pays d’Europe à ne pas avoir introduit à ce jour de restriction au niveau national.
Certes, quinze cantons disposent de restrictions plus sévères que les normes minimales de la Confédération l’exigent. Mais la question de l’efficacité d’interdiction publicitaire restreinte à l’échelle cantonale et limitée à des domaines relativement modestes peut se poser. La nouvelle loi sur les produits du tabac doit introduire des exigences minimales pour la publicité du tabac qui tiennent dûment compte de la protection de la jeunesse.
L’Irlande, la Norvège, la Grande-Bretagne ou la Finlande sont les pays qui appliquent les lois les plus strictes en matière de tabac, interdisant toute forme de publicité pour le tabac, y compris l’exposition des produits de tabac sur les lieux de vente. Ceux-ci ne doivent pas être visibles et être stockés sous le comptoir par exemple.
Recommandations internationales
Pour l’OMS les restrictions de publicité sont une mesure importante dans les recommandations du Plan d’action européen visant à réduire l’usage nocif de l’alcool 2012–2020, et les nouveaux canaux de marketing constituent un défi supplémentaire en matière de protection de la jeunesse.
La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac («WHO Framework Convention on Tobacco Control (FCTC)») est un outil important pour la prévention du tabagisme au niveau mondial. À ce jour, 177 pays l’ont ratifiée, dont les 27 États membres de l’UE. La Suisse l’a signée en 2004. Mais pour qu’elle soit ratifiée, il faudra procéder à des adaptations légales, notamment en matière de restriction de la publicité et du parrainage en faveur du tabac, ainsi que d’introduction d’une interdiction de vente aux mineurs. Ces points seront réglés dans la nouvelle loi sur les produits du tabac qui sera prochainement soumise à consultation et devrait entrer en vigueur en 2018.
Des mesures structurelles moins chères et plus efficaces
De nombreuses études montrent que des mesures de prévention structurelle, telles que l’imposition, l’accessibilité et les interdictions de publicité sont plus efficaces que des mesures s’adressant aux individus (prévention comportementale). Les interdictions de publicité font partie des mesures les moins chères en matière de prévention et sont particulièrement efficaces lorsqu’elles touchent l’ensemble du marketing. Il a ainsi pu être démontré qu’une interdiction globale de la publicité pour l’alcool permet de baisser la consommation de 5 à 8% en moyenne par personne. S’engager pour une authentique protection de la jeunesse, c’est aussi s’engager pour des interdictions de publicité en faveur de produits nuisibles pour la santé.
Renoncement volontaire
Aujourd’hui, de nouvelles solutions reposant sur le volontariat sont expérimentées dans d’autres domaines: des fabricants suisses d’articles de marque de premier plan se sont engagés, en 2010, à renoncer aux publicités pour les produits alimentaires visant les enfants de moins de 12 ans. Sont exclus de l’initiative les produits répondant à des critères nutritionnels spécifiques reposant sur les recommandations de la communauté scientifique. Pour l’heure, 13 entreprises participent activement au programme: Coop, Coca-Cola, Danone, Intersnack, Kellogg, Mars,
McDonald's, Mondelez, Nestlé, PepsiCo, Procter & Gamble, Unilever et Zweifel Pomy-Chips. Les partenaires de Swiss Pledge sont aussi partenaires de l’initiative actionsanté de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
L’engagement volontaire de Swiss Pledge s’inspire de programmes similaires déjà en place au sein de l’UE (UE Pledge). L’avenir montrera si les entreprises respectent les critères minimaux et s’il sera possible de gagner d’autres acteurs du secteur alimentaire. Ce serait, du point de vue de la santé publique, un petit pas important dans la bonne direction.
Pour en savoir plus: www.swiss-pledge.ch ou www.actionsante.ch
Contact
Roy Salveter, coresponsable de la division Programmes de prévention nationaux, roy.salveter@bag.admin.ch