Le premier centre de consultation sexuelle de Suisse a surmonté de nombreuses embûches
Sep.. 2015Renforcer les ressources
Santé sexuelle. En Suisse, le premier centre de consultation en matière de sexualité et de planning familial a été ouvert en 1933 à Zurich Aussersihl. Suivirent des institutions similaires à Bâle, Berne, Genève et Lausanne. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a cofinancé un état des lieux sur la santé sexuelle et reproductive en Suisse. Le présent article de Brigitte Ruckstuhl et Elisabeth Ryter est paru dans ce contexte.
C’est en 1933, à Zurich Aussersihl, que le premier centre de consultation en matière de sexualité et de planning familial a été ouvert en Suisse. Le Zentralstelle für Ehe- und Sexualberatung Zürich (Zesex) était soutenu par une association privée créée un an plus tôt sous la présidence du conseiller municipal Jakob Gschwend, responsable de l’assistance publique de la Ville de Zurich. Si le centre de consultation faisait figure de pionnier pour la Suisse, ce n’était pas le cas pour l’Europe. En effet, le mouvement de réforme sexuelle avait commencé à créer ce type de centres dans de nombreuses villes depuis les années 1920. Ces centres proposaient information et conseil sur des questions de sexualité et de contraception, et un certain nombre d’entre eux remettaient gratuitement des moyens contraceptifs (essentiellement des préservatifs et des diaphragmes), un acte à la fois très progressiste et souvent contesté à l’époque.
L’avortement comme méthode de contraception
En Suisse aussi, les thèmes de l’avortement et des méthodes de contraception faisaient l’objet de vives controverses. La régulation des naissances avait été fortement thématisée après la fin de la Première Guerre mondiale, en raison du recul des naissances déjà amorcé avant le conflit et qui s’était accru à partir de 1915. Pendant que les conservateurs craignaient une baisse de population, il régnait dans les milieux de la réforme sexuelle une ambiance de renouveau dans l’entre-deux-guerres. Les thèmes centraux étaient la régulation des naissances et la levée de l’interdiction de l’avortement. En expliquant la contra-ception, ils voulaient éviter les avortements illégaux qui avaient encore augmenté dans les années 1930 sous l’effet de la crise économique. Il fallait faciliter l’accès à des moyens de contraception financièrement abordables. Les préservatifs étaient chers et il n’était pas facile de se les procurer, les diaphragmes devaient, en tout cas en Suisse, être mis en place par un médecin, et d’autres méthodes connues à l’époque, telles le coït interrompu et les douches vaginales étaient trop aléatoires. Par ailleurs, il était difficile, jusque dans les années 1920–1930, de se procurer des informations sur la contraception, souvent synonyme d’avortement (pénalement punissable) jusque dans les années 1930, en tout cas pour les femmes des couches sociales défavorisées. Le code pénal suisse entré en vigueur en 1942 ne changeait rien à la situation.
Crainte d’une mise en danger de l’institution du mariage
La création de centres de consultation en sexualité était souhaitée principalement par les milieux de gauche et ceux de la Réforme sexuelle. A Zurich, le couple de médecins Fritz et Paulette Brupbacher ainsi que les juristes Elisabeth Balsiger-Tobler et Margrit Willfratt-Düby en étaient d’ardents défenseurs. A la fin des années 1920, Fritz Brupbacher sollicitait le soutien financier du parlement de la Ville de Zurich pour un centre de consultation. Au début des années 1930, le parlement cantonal était exhorté à s’exprimer sur ce qu’il entendait entreprendre pour améliorer l’éducation sexuelle. Les interventions furent rejetées au motif que l’information demandée sur la prévention de grossesse n’était pas nécessaire, qu’il existait déjà des moyens et que ce qui faisait défaut n’était rien d’autre que «l’énergie et la volonté» de les utiliser (procès-verbal du Grand conseil du canton de Zurich, séance du 30 juin 1930). Finalement, le centre de consultation ouvrit ses portes en 1933 après des résistances initiales. Selon la tradition suisse, une association privée subventionnée par la commune en assumait la responsabilité.
Les débats autour de l’éducation sexuelle et de centres de consultation en matière de sexualité donnent une idée des modèles d’argumentation et des intérêts en jeu. Les détracteurs voyaient dans la régulation des naissances une attaque contre l’institution du mariage. «Si l’Etat encourage les moyens de contraception, le désir d‘enfant disparaît», argumentait Hans Hoppeler, docteur en médecine et conseiller national et député du Parti évangélique populaire en décembre 1932 (Procès-verbal du Grand Conseil du canton de Zurich, 5 décembre 1932). Une majorité était d’avis que la sexualité devait se limiter au mariage dont la procréation et l’éducation des enfants devaient être les fonctions principales. Parmi les opposants aux offres de conseil, on comptait de nombreux médecins qui craignaient de perdre leur statut d’experts en contrôle des naissances.
Les moyens de contraception sont une bénédiction
Les défenseurs, quant à eux, considéraient les moyens de contraception comme une bénédiction. Selon eux, les malheureux se retrouvant sur le banc des accusés au tribunal étaient surtout victimes du hasard. Les nombreux avortements étaient le signe d’une connaissance encore lacunaire de la régulation des naissances au sein des masses populaires. Les milieux éduqués seraient mieux informés. «Bénéficiant d’une meilleure éducation à l’hygiène et de relations personnelles, ils seraient moins touchés par le problème» (extrait de «La femme en Suisse. Annuaire illustré pour les mouvements féministes», 1934). La juriste Mina Bertschinger soulignait «que le seul moyen efficace d’éviter des avortements dangereux et préjudiciables serait d’empêcher les grossesses non désirées. Informer le peuple sur l’utilisation des moyens de protection serait la meilleure arme dans la lutte contre l’épidémie d’avortements» (extrait de «Rote Revue 1933/34, p. 372).
Distributeurs de préservatifs interdits jusqu’en 1986
L’objectif des centres de consultation était aussi contesté. On s’interrogeait notamment sur le fait de savoir s’il fallait donner la priorité au conseil en matière de questions eugéniques au sens d’une régulation de descendants en bonne santé ou au conseil en contraception. Alors qu’il y avait un certain consensus à l’époque sur les conseils eugéniques comme faisant partie des attributions du centre de consultation, les débats ont duré encore longtemps pour savoir si les moyens de contraception devaient être gratuits ou peu chers comme cela pouvait être le cas à l’étranger. Finalement, les autorités de Zurich ont accepté le conseil en matière de contraception mais pas la remise de contraceptifs. Les médecins avaient réussi à conserver l’exclusivité de la remise des moyens de contraception. Le centre de consultation n’avait plus qu’à obtempérer.
L’ouverture du centre de consultation à Zurich ne signait toutefois pas la fin des difficultés pour la contraception. En 1937, Paulette Brupbacher, médecin, se voyait interdire de prendre la parole par le Tribunal fédéral après avoir tenu une conférence sur la régulation des naissances à Soleure, une conférence qualifiée de honteuse. En 1939, la loi sur la restauration interdisait d’implanter des distributeurs de préservatifs dans les restaurants du canton de Zurich. Cette interdiction ne fut levée qu’en 1986, en pleine crise de VIH/sida.
Les débats montrent qu’une approche qui aurait pu empêcher de nombreux avortements illégaux, et parfois fatals, provoquait une levée de boucliers tant parmi les politiques qu’au sein du corps médical. Les forces économiquement dominantes préféraient un contrôle des naissances réglementé par la médecine et par la loi plutôt que sur base privée. C’est la pilule, arrivée sur le marché dans les années 1960, qui donnera enfin aux femmes la possibilité de décider elles-mêmes de questions de sexualité et de reproduction.
Littérature (sélection):
Dubach, Roswitha (2013). Verhütungspolitik. Sterilisation im Spannungsfeld von Psychiatrie, Gesellschaft und individuellen Interessen in Zürich (1890–1970). Zürich.
Gafner, Lina (2010). «Mit Pistole und Pessar». Sexualreform und revolutionäre Gesellschaftskritik im Zürich der 1920er- und 1930er Jahre. Nordhausen.
Helwing, Katharina
(1989). «Frauennot –
Frauenglück». Diskussion und Praxis des straflosen Schwangerschafts-abbruchs in der
Schweiz (1918–1942). Zürich
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Sirkka Mullis, division Maladies transmissibles,
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