Santé en prison: faut-il s’indigner?
Mars. 2012La santé en milieu carcéral
Forum Dr. med., lic. iur. Jean-Pierre Restellini. Comme chacun devrait le savoir aujourd’hui, la santé ne se limite pas simplement à l’absence de maladie ou d’infirmité. Il s’agit d’un état de complet bien-être physique, mental et social1, notion beaucoup plus ambitieuse, mais qui devrait néanmoins être garantie pour tous. Ces objectifs sanitaires peuvent-ils être réellement atteints en milieu carcéral? Ou faut-il plus modestement se contenter du «principe de l’équivalence2», qui veut que «le service de santé pénitentiaire soit en mesure d’assurer les traitements médicaux et les soins infirmiers dans des conditions comparables à celles dont bénéficie la population en milieu libre»?
Qu’en est-il dans notre pays?
Le quartier cellulaire de l’hôpital cantonal universitaire de Genève est la structure chargée de prendre en charge l’ensemble des détenus romands, dont l’affection nécessite un séjour en milieu hospitalier. Jusqu’au début des années 80, cette unité intra hospitalière était gérée par des étudiants en 4ème année de médecine. Pratiquement, les autorités pénitentiaires et sanitaires estimaient, à une époque pas si lointaine, que pour soigner des prisonniers, des apprentis médecins étaient bien suffisants!
En plus de la violation flagrante du principe susmentionné, c’était là bien méconnaître l’importance, et surtout la complexité, des problèmes que pose la prise en charge sanitaire des personnes pénalement privées de liberté! Même si beaucoup de chemin a été fait au cours des trente dernières années, de nombreux défis restent encore à relever.
Premièrement car l’exercice de la médecine en milieu carcéral constitue indiscutablement une des spécialités les plus délicates. Elle requiert de la part des médecins (et du personnel infirmier) du milieu pénitentiaire tout d’abord des compétences médicales générales approfondies, mais également une solidité morale personnelle permettant de survivre dans ce curieux ménage à trois: service médical, détenus et administration pénitentiaire/judiciaire. Exercice toujours périlleux parce que les risques majeurs de dérapage sont indéniables. L’association du pouvoir et du savoir médical à la force publique, singulièrement en condition de privation de liberté, peut parfois aboutir à un mariage démoniaque! La participation de médecins US à des actes de torture auprès de détenus capturés dans le cadre des conflits en l’Irak et en Afghanistan nous a récemment rappelé que personne n’est à l’abri.
Deuxièmement parce que la morbidité carcérale est élevée tout d’abord en raison d’un phénomène de recrutement: nos prisons fonctionnant comme autant d’entonnoirs à marginalités et de misères internationales diverses, elles vont tout naturellement concentrer, entre leurs quatre murs, des personnes appartenant à des couches sociales parfois très défavorisées, dont les habitudes et les comportements sont souvent désastreux pour la santé. Sans même évoquer la promiscuité imposée par la vie communautaire en prison, qui peut largement contribuer à l’éventuelle propagation de maladies transmissibles. Et là, les moyens sont encore largement insuffisants.
Enfin, qu’en est-il de l’«état de complet bien-être mental et social» en milieu carcéral? On ne peut que constater que la perspective sacrificielle délibérée, appartenant à une criminologie complètement dépassée, inspire encore souvent nos magistrats: les détenus doivent souffrir afin de servir d’épouvantail à la collectivité.
Pourtant l’ensemble des études effectuées dans nos pays occidentaux, montrent clairement que la proportion de personnes incarcérées qui souffrent de troubles mentaux est considérable. Pratiquement notre justice pénale, puis notre système pénitentiaire, se limite encore trop souvent à punir des personnes qui sont elles-mêmes des victimes de leurs propres antécédents familiaux ou plus simplement de leur misérable cadre de vie.
Alors indignons-nous encore un bon coup!
Dr med., lic. iur. Jean-Pierre Restellini
Médecine légale et médecine interne FMH
Président de la Commission nationale de prévention de la torture
Membre suisse du CPT / Conseil de l’Europe