Porter attention à son propre corps vs. tradition de la virilité
Jui.. 2011La santé au masculin
Cinq questions à Verena Hanselmann, responsable du projet Gender Health à l’Office fédéral de la santé publique. En tant que principe tenant compte de la spécificité des genres dans le domaine de la santé, la gender health (santé liée au genre) comprend toute forme de pratique sur les plans de la politique, de la science, de la promotion de la santé et des soins.
spectra: L’espérance de vie des hommes est inférieure de cinq bonnes années à celle des femmes. L’Enquête suisse sur la santé révèle toutefois que les hommes ont une meilleure appréciation de leur propre santé que les femmes. Comment expliquer cette contradiction?
Verena Hanselmann: L’évaluation subjective de sa propre santé tant au niveau physique que psychique est toujours étroitement liée aux expériences quotidiennes et au sentiment que l’on a de comprendre sa propre vie et ses propres actes, d’en percevoir l’importance et de pouvoir les contrôler. Avoir une forte conviction de contrôle est une ressource importante pour la santé. Les hommes ont, en la matière, une meilleure appréciation.
N’y a-t-il pas aussi des hommes qui n’ont pas ce sentiment de contrôle et qui se sentent plutôt livrés à la vie?
Bien sûr qu’il y en a. La statistique montre que des personnes de niveau de formation élevé ont un meilleur sentiment de contrôle que celles qui ont quitté l’école après le cycle obligatoire. Cela vaut aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Mais toutes catégories d’âge confondues, les hommes ont, indépendamment de leur niveau de formation, généralement un meilleur sentiment de contrôle que les femmes. Bien sûr, il y a des nuances. Les hommes de 45 à 64 ans ayant le niveau du cycle obligatoire n’ont que très peu l’impression de pouvoir contrôler leur vie. Ils s’estiment également en moins bonne santé et indiquent souffrir d’une forte pression psychique. Ces hommes atteignent des valeurs nettement inférieures à celles des femmes du même âge et du même niveau de formation.
Est-ce la crise de la cinquantaine?
Je pense que c’est plutôt une question de métiers physiquement très fatigants et socialement peu gratifiants. Le monde du travail «masculin» se caractérise par une fatigue corporelle élevée, du bruit, de la poussière, de la chaleur et du stress. Cet un environnement présente un risque élevé pour la santé et conduit à ce que les hommes souffrent davantage que les femmes de risques sanitaires liés à leur activité professionnelle. De plus, les hommes définissent souvent leur image par le biais de leur travail. La crainte de perdre son emploi augmente à partir de 40 ans, et plus le niveau de formation est bas, plus cette crainte est élevée.
Comment les hommes réagissent-ils au stress?
Dans sa chanson sur «les hommes», Herbert Grönemeyer exprime avec justesse que la pression à la souffrance doit être très élevée chez les hommes avant qu’ils ne demandent de l’aide. Cela se confirme dans le domaine de la gestion du stress et de la santé psychique. Porter attention à son propre corps contredit les représentations traditionnelles de la virilité. Sur le terrain, on observe que les hommes se soumettent souvent (trop) tard à des examens de prévention (cardiaques, cardio-vasculaires notamment). En cas de maladie, une hospitalisation est souvent inévitable – y compris dans le domaine psychique. Les hommes psychiquement malades ont besoin de davantage de soins hospitaliers que les femmes.
Quelles devraient être les priorités pour la promotion de la santé des hommes?
– Des offres de prévention tenant compte des besoins spécifiques des hommes. Il manque en particulier des offres pour les hommes jeunes et pour les hommes socialement défavorisés. Ces derniers (niveau de formation modeste, statut professionnel bas et faible revenu) sont davantage malades et ont une espérance de vie inférieure à celle des personnes au statut social plus élevé. Ce gradient social apparaît nettement chez les hommes, notamment en matière de formation.
– Une prévention de la violence et du suicide mieux orientée sur les besoins spécifiques des hommes. Les hommes meurent deux fois plus souvent des suites d’un délit de violence que les femmes. Dans le domaine du suicide, il ne faut pas se contenter d’adapter les offres de prévention aux hommes jeunes, mais également intégrer les besoins des hommes plus âgés (qui ont le taux de suicide le plus élevé).
– Continuer à réduire les risques de santé spécifiques aux hommes (comportementaux) pour ainsi regagner les années de vie perdues en raison de décès prématuré par infarctus ou cancer.