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«La complexité croissante concerne non seulement la médecine de pointe, mais aussi la prise en charge de base.»

Édition n° 97
Mars. 2013
Maladies non transmissibles

Cinq questions au Professeur Dr Thomas Rosemann. Le directeur de l’Institut de médecine générale de l’Université de Zurich parle du rôle des médecins de famille dans la prévention et le traitement des maladies non transmissibles, des nouveaux modèles de prise en charge possibles et des lacunes et des opportunités de la recherche en la matière.

Monsieur Rosemann, comment jugez-vous le rôle des médecins de famille dans la prévention et le traitement des maladies non transmissibles (MNT)?

Thomas Rosemann: Ces médecins ont un rôle primordial dans la mesure où ils sont généralement la première personne consultée dans le système de santé et où ils connaissent, dans la majorité des cas, leurs patient-e-s depuis longtemps et, donc, leur environnement social et leurs habitudes de vie. Autant de conditions essentielles, justement, pour pratiquer une bonne prévention.  

Existe-t-il pour vous, en tant que chercheur, de nouveaux modèles de prise en charge qui répondent aux maladies chroniques et à la multimorbidité et, si oui, quels sont-ils?

Nous savons que les soins prodigués notamment aux malades chroniques souffrent de certains déficits. Pour l’essentiel, nous avons une attitude réactive, c’est-à-dire que nous réagissons à des dégradations de l’état de santé au lieu de les prévenir par tous les moyens. Pour cela, il faut un suivi continu et proactif visant à retarder le plus possible une progression de la maladie. Il faut cibler davantage la prévention de complications et lutter contre une aggravation de la maladie. Il existe déjà plusieurs méthodes de soins proactifs. Je citerai les programmes de «Disease Management» (DM) introduits en Allemagne, ou des approches basées sur des indicateurs de qualité comme dans le cadre du «Quality and Outcomes Framework» (QuOF) qui existe en Angleterre. L’approche la plus complète est le «Chronic Care Modell» (CCM), un modèle fondé sur les preuves pour traiter les malades chroniques et qui insiste particulièrement sur l’’intervention d’une équipe médicale spécialement formée. Dans le fond, le CCM est une sorte de condensé de nombreuses études qui se sont penchées sur différents moyens d’optimiser la prise en charge. Le CCM réunit les faits probants les plus récents.

En Suisse, il y a de grandes lacunes dans la recherche sur les services de santé. Quel type de recherche faudrait-il pratiquer pour obtenir des réponses concrètes à la prévention et à la lutte contre les MNT? Y a-t-il des exemples?

Dans le passé, les efforts se concentraient sur la recherche fondamentale et la recherche clinique. Pour répondre aux changements démographiques de la société qui s’accompagnent d’une augmentation du nombre de malades chroniques et multimorbides, il ne suffira pas de poser des diagnostics plus nombreux et plus pointus ou d’utiliser des médicaments plus nombreux ou meilleurs. Il faut trouver de nouvelles approches dans l’ensemble de la chaîne de soins, idéalement à plusieurs niveaux, c’est-à-dire impliquant le médecin de famille, le spécialiste ambulatoire et l’hôpital. Des études randomisées peuvent analyser ces nouvelles approches, CCM, programmes DM, ou encore programmes  basés sur des indicateurs, dans la réalité de la prise en charge quotidienne. Les choses sont moins faciles que dans les études cliniques, en raison du grand nombre de variables et de facteurs perturbateurs, mais les résultats sont générés par la réa­lité et sont immédiatement utilisables pour adapter des procédures de la prise en charge. Nous avons déjà conduit quelques études de ce genre portant notamment sur le diabète, l’asthme, l’hypertension artérielle ou encore la dégénérescence maculaire humide de l’œil. Il faudrait davantage de moyens financiers, c’est ce qui manque encore en Suisse. Mais les besoins ont été identifiés au niveau politique, ce qui me permet d’espérer une amélioration des conditions.  

Vous parlez aussi de l’importance de la prévention pour éviter et pour traiter les MNT. Comment améliorer la prévention dans les soins de base?

Des approches de prise en charge telles que le CCM insistent sur l’importance de la prévention (secondaire) dans le traitement. Une maladie chronique comme le diabète, par exemple, n’est pas un phénomène «marche/arrêt», mais un continuum qui s’étend de troubles (encore réversibles) de tolérance au glucose jusqu’à la complication ultime – comme une amputation ou un infarctus. La progression doit être retardée par des interventions proactives ou préventives. Le CCM peut faire prendre conscience des mesures à prendre, mais ne fera pas de miracle à lui seul. Idéalement, ces mesures s’intègrent dans une structure motivante pour atteindre les meilleurs résultats possibles.  

Les patient-e-s de l’avenir sont mieux informés, attendent d’autres heures d’ouverture et d’autres offres de prise en charge, utilisent les nouveaux médias pour s’informer et veulent une relation d’égalité avec le médecin. Quelles sont les conséquences pour la prise en charge?

Un patient bien informé est un partenaire idéal pour prendre une décision commune fondée sur des preuves. Le problème est que les informations disponibles sur Internet ne sont pas toujours neutres et fondées sur des preuves, ce qui peut conduire le patient à demander des interventions pas toujours pertinentes, voire dommageables. Le surdiagnostic et la surthérapie ne sont pas moins nuisibles que l’omission d’interventions indiquées. Parfois, il faut savoir accepter que «moins, c’est aussi plus». Le médecin doit alors disposer de toutes les connaissances qui lui permettront de justifier sa méthode et être prêt à un échange intensif avec le patient. Le dialogue devient un élément central du traitement et devrait être honoré comme tel. Dans l’idéal, le médecin ne devrait pas rester seul, car une approche interdisciplinaire et multiprofessionnelle offre de multiples avantages et permet d’analyser minutieusement la meilleure répartition des rôles. Une chose est sûre: la complexité croissante concerne non seulement la médecine de pointe mais aussi la prise en charge de base.

Quelle recherche sur les services de santé pour la Suisse?

La recherche sur les services de santé fait partie des thèmes prioritaires du Plan directeur de recherche «Santé» 2013-2016. Elle a pour but de trouver des pistes pour accroître la qualité, l’efficacité et l’économicité de notre système de santé. La recherche sur les services de santé se concentre sur la prise en charge des maladies et les soins à la population dans les hôpitaux, les cabinets médicaux et les autres institutions de santé en incluant les services de prévention et de dépistage précoce (prévention des maladies).

Sur mandat de l’OFSP, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) établit, en intégrant divers groupes d’utilisateurs (Confédération, cantons, prestataires de services, assureurs, patient-e-s, etc.), d’ici fin 2013, un concept global de recherche sur les services de santé qui servira de base à un futur Programme national de recherche. Le concept doit, pour l’essentiel, répondre à la question de savoir de quelle recherche sur les services de santé la Suisse a besoin. La médecine de premier recours/médecine généraliste doit y trouver une place prioritaire.

Plan directeur de recherche «Santé» 2013–2016: www.bag.admin.ch/recherche

Contact

Herbert Brunold, OFSP, chef du service Évaluation et recherche,
herbert.brunold@bag.admin.ch

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