Vers une politique des addictions durable
Sep.. 2010Défi addictions
«Défi addictions». Une politique des addictions qui se concentre sur les dépendances liées au tabac, à l’alcool et aux drogues illégales est à trop courte portée – voire passe à côté des problèmes majeurs. Afin de tenir compte des réalités actuelles et futures dans le domaine des addictions, il faut élargir la vision de la politique des dépendances au sens d’une approche de santé publique. Le rapport «Défi addictions» décrit les bases d’une telle approche.
A l’heure actuelle en Suisse, la politique des addictions se résume principalement aux politiques de l’alcool, du tabac et des drogues illégales, trois domaines politiques qui se recoupent peu. Chacun de ces domaines est suivi par une commission spécialisée (les Commissions fédérales pour les problèmes liés à l’alcool, pour les questions liées aux drogues et pour la prévention du tabagisme). Ces dernières années, ces commissions ont commencé, indépendamment les unes des autres et à des degrés différents, à suivre une stratégie de santé publique («Public Health»), ou du moins quelques éléments de cette stratégie. Sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), elles ont réuni leurs réflexions dans un rapport «Défi addictions» et un cadre de référence qui l’accompagne proposant 10 lignes directrices en vue d’une politique des addictions cohérente.
Ce rapport exige pour l’essentiel trois élargissements conceptuels et trois réorientations stratégiques. Au niveau du contenu, la politique des addictions en Suisse doit dépasser le concept trop restrictif de la dépendance dans le but d’intégrer toute la diversité des modes de consommation problématique en évolution constante («au-delà de la dépendance»). La raison en est que ce n’est pas forcément une dépendance diagnostiquée qui est à l’origine de la plupart des conséquences négatives liées à l’usage de substances psychoactives mais la consommation problématique. De plus, il est recommandé de renoncer à l’avenir à la distinction peu efficace entre substances légales et illégales («au-delà du statut légal»). En effet, l’élaboration d’une politique des addictions efficace au sens de la santé publique ne requiert pas nécessairement de savoir si une substance est licite ou non, mais de connaître quels dommages elle entraine. D’une manière générale, des substances légales telles que le tabac et l’alcool ont des conséquences bien plus graves sur la santé ainsi que des répercussions économiques et sociales bien supérieures à celles des drogues illégales. En outre, la consommation d’autres produits légaux susceptibles d’engendrer une dépendance, tels que certains médicaments ou des produits pharmacologiques d’optimisation des performances physiques et psychiques est en forte augmentation. Enfin, les auteur-e-s du rapport soulignent le fait qu’une politique des addictions durable ne doit pas se focaliser uniquement sur des substances mais inclure également des types de comportement potentiellement addictifs comme le jeu pathologique («au-delà des substances psychoactives»).
Adapter la stratégie
La réorientation stratégique telle que la préconise le rapport témoigne elle aussi d’une plus large compréhension de la politique des addictions. Désormais des mesures cohérentes de prévention comportementale et de prévention structurelle doivent contribuer à faire du choix le plus sain l’option la plus attrayante et la moins chère («au-delà de la responsabilité individuelle»). En la matière, si la protection de la jeunesse doit rester au centre des préoccupations, il faut également prendre en considération que la proportion de personnes âgées est en croissance continue et que la consommation à risque et la dépendance ne se limitent en aucun cas aux seuls jeunes («au-delà de la protection de la jeunesse»). Enfin, une politique des addictions couronnée de succès n’est pas seulement le fruit d’une stratégie commune de toutes les politiques sectorielles sanitaires, mais doit aussi encourager la collaboration avec les autres domaines politiques à tous les niveaux fédéraux ainsi qu’avec l’économie et la société civile («au-delà des mesures de politique sanitaire»).
Cadre de référence avec 10 lignes directrices
Se fondant sur cette conception globale de la politique des addictions, les auteur-e-s du rapport se sont entendu-e-s sur un cadre de référence suprasectoriel comportant dix lignes directrices pour une politique des dépendances durable. Les lignes directrices poursuivent le même objectif que le rapport: la prévention de la consommation et des comportements problématiques ainsi que la réduction des atteintes à la santé. Le cadre de référence présente des approches possibles d’intégration des mesures actuelles sectorielles et orientées substances dans une perspective globale de politique des addictions.
Ligne directrice n° 1: Une politique cohérente
Sur la base d’une approche mettant en avant la santé publique, la Suisse mène une politique cohérente vis-à-vis des rapports nocifs et risqués aux substances psychoactives et aux comportements à potentiel addictif.
Ligne directrice n° 2: Adaptation aux dommages potentiels et à la charge de dommages réelle
En Suisse, les actions en matière de politique des addictions sont adaptées en fonction des dommages potentiels et de la charge de dommages réelle que représentent des substances ou des comportements à potentiel addictif pour l’individu, son milieu social et pour la société. Elles abandonnent la distinction simpliste entre substances psychoactives légales et illégales et la seule focalisation sur les dépendances.
Ligne directrice n° 3: Élargissement du domaine d’application
Les actions en matière de politique suisse des addictions ciblent, en plus de l’alcool, du tabac et des drogues illégales, les médicaments, les addictions sans substance et les produits destinés à l’optimisation des performances physiques et psychiques, tout en tenant compte des spécificités de chaque type d’addiction.
Ligne directrice n° 4: Garantie de l’accès au traitement et à la prise en charge
L’addiction est une maladie. Les personnes souffrant d’une consommation problématique, d’un comportement problématique ou d’un syndrome de dépendance ont droit à un traitement et à une prise en charge médicale. De même, leurs proches, leurs enfants et leur partenaire doivent pouvoir bénéficier d’une aide. L’accès à des mesures de repérage précoce, de conseil, de soutien à l’abandon de la consommation ou du comportement et de réinsertion sociale doit être garanti. La création ou le développement d’une offre intégrée sont fortement encouragés.
Ligne directrice n° 5: Réduction des risques
Des mesures de réduction des risques efficaces ciblent les consommateurs et leur entourage. Elles sont appliquées dans les situations où elles sont envisageables du point de vue de la santé publique. Dans l’état actuel des connaissances, ces mesures ne sont pas applicables dans le cas du tabagisme.
Ligne directrice n° 6: Prévention par le biais de mesures structurelles visant l’environnement
La politique suisse des addictions cherche à promouvoir des mesures structurelles agissant sur l’environnement afin de rendre les choix sains plus attractifs pour le consommateur. Dans cet objectif, différents domaines politiques sont impliqués de manière systématique dans les actions relevant de la politique des addictions.
Ligne directrice n° 7: Implication des producteurs, des distributeurs et des vendeurs
Les producteurs, les distributeurs et les vendeurs de produits comportant un potentiel de dommages ou d’addiction ont plus d’obligations en raison d’un cadre juridique adapté pour contrôler l’offre et la demande à tous les niveaux fédéraux en Suisse.
Ligne directrice n° 8: Approche différenciée en fonction des populations visées
La protection de la jeunesse reste un domaine important de la politique des addictions et doit être mise en œuvre de manière conséquente. Toutefois, les mesures de politique des addictions doivent inclure toutes les populations cibles. Il est important de préciser que ces mesures ne peuvent discriminer personne du fait d’inégalités sociales ou d’une quelconque différence. Pour combler cette approche, des programmes spécifiques doivent promouvoir les compétences individuelles en matière de santé dans une optique de prévention et de repérage précoce.
Ligne directrice n° 9: Participation de la société civile
Les acteurs de la société civile, par exemple les associations sportives ou économiques et les organisations professionnelles, consolident leurs activités en particulier dans les domaines de la prévention et de la réduction des risques.
Ligne directrice n° 10: Recherche, formation et monitoring/évaluation
La Suisse promeut la formation de spécialistes et la recherche en matière d’addictions. Dans cette optique est mis sur pied un programme de monitoring des addictions qui fait valoir l’approche du cadre de référence. Le Conseil fédéral doit lancer un Programme national de recherche dans le domaine des addictions. Cette dernière doit également prendre une place plus importante dans les universités, en médecine et en psychiatrie.
L’OFSP poursuit le processus amorcé par le rapport «Défi addictions». A cet effet, il s’engage à diffuser, à approfondir les contenus du rapport et du cadre de référence et à leur donner un ancrage dans les faits.
Le rapport original ainsi qu’un résumé de ce rapport peuvent être téléchargés au format PDF ou commandés en tant que brochure à l’adresse suivante: www.herausforderungsucht.ch
Défi addictions – prochaines étapes
Le 1er juin dernier, lors de la remise à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) du cadre de référence pour une politique des addictions cohérente, son directeur, Pascal Strupler, remerciait les auteur-e-s du rapport par une allégorie «la graine a germé et nous espérons que l’arbre portera des fruits» avant de leur remettre … un jeune pommier bien réel.
Ces mots soulignent que la remise du cadre de référence ne représente pas seulement, dans l’esprit de l’OFSP, la conclusion d’un processus de développement, mais en même temps le début de l’étape suivante sur la voie d’une politique des addictions cohérente.
Le rapport esquisse les éléments clé tant conceptuels que stratégiques d’une politique des addictions durable. En outre, il recommande à l’OFSP de poursuivre, au sein d’un processus participatif, le développement du cadre de référence pour parvenir à un concept global de politique des addictions.
Les travaux qui ont conduit au cadre de référence ont clairement montré que l’addiction et les problèmes qui lui sont liés représentent un défi pour la société tout entière. En conséquence, le développement d’une nouvelle politique des addictions requiert aussi un processus de changement au niveau de l’ensemble de la société. L’OFSP considère qu’il est de sa mission d’amorcer ce processus et de l’accompagner dans la mesure de ses possibilités. Cet objectif guidera l’OFSP pour les prochaines étapes. Le processus requiert une large intégration des professionnels, de la politique, de l’économie et du grand public.
Dans un premier temps, les invité-e-s à la conférence du 1er juin ont été prié-e-s d’exprimer leur opinion et de faire des suggestions sur la suite à donner. Les opinions et les suggestions soumises jusqu’à fin septembre seront rassemblées dans un rapport jusqu’à fin novembre, rapport qui servira de base à la planification du processus à proprement parler de diffusion, d’approfondissement et d’implantation du cadre de référence. Le plan de mesures et de méthode ad hoc sera porté à la connaissance du chef du Département, le Conseiller fédéral Didier Burkhalter au printemps prochain.
Il s’agit d’un processus ouvert dont les résultats doivent être soumis au Conseil fédéral fin 2013 accompagnés de recommandations sur la conception de la politique des addictions de la décennie en cours.
Ce projet est ambitieux compte tenu du contexte politique et financier actuel. Il ne réussira que si le cadre de référence parvient à déclencher l’étincelle de la discussion non seulement dans les milieux professionnels, mais également dans d’autres secteurs d’activités qui ont une influence sur la politique des addictions, tels que l’économie et la formation par exemple. Les premières réactions spontanées nous permettent d’être confiants dans sa réussite, même si nous avons conscience que le chemin à parcourir, tous ensemble, est encore long et sinueux. Je vous invite, dans cet esprit, à contribuer à la réussite de cet ambitieux projet.
Markus Jann, chef section Drogues
L’approche de santé publique dans la politique des addictions
L’approche de santé publique est, selon la définition de l’OMS, un concept de politique sanitaire, «qui vise à améliorer la santé, à prolonger la vie et à donner une meilleure qualité de vie à des populations entières par la promotion de la santé, la prévention de la maladie et d’autres types d’intervention sanitaire». Appliquée à la politique des addictions, l’approche de santé publique revêt une importance à l’échelle de l’Europe tout entière. En effet, elle peut offrir une base commune à des domaines de traitement des addictions jusqu’ici politiquement distincts et permet l’intégration de la prévention structurelle et comportementale ainsi que l’intégration de la santé dans tous les domaines de la politique.
A l’instar du modèle des causes multiples dans le domaine de la drogue, l’approche de santé publique dans la politique des addictions tient compte des interactions entre l’individu, l’environnement social et la substance psychoactive ou le comportement à potentiel addictif. Elle intègre toutefois dans son action, en raison de l’impact et des problèmes subséquents sur la santé, non seulement la dépendance mais aussi la consommation problématique. Une large unanimité règne déjà parmi les spécialistes de la santé à propos d’une orientation cohérente de la politique des addictions basée sur une approche de santé publique. Ils ont d’ailleurs déjà réclamé à plusieurs reprises une telle orientation en Suisse aussi.
Contact
Markus Jann, chef de la section Drogues, markus.jann@bag.admin.ch