« Les maladies rares peuvent toucher tout le monde, puisqu’une mutation spontanée peut se produire n’importe quand. » (Therese Stutz)
Mai. 2018Maladies rares
Entretien avec Anne-Françoise Auberson et Therese Stutz. Les personnes atteintes d’une maladie rare et leurs proches manquent souvent d’informations et de soutien psychosocial au quotidien. spectra a abordé ce sujet et d’autres questions avec Anne-Françoise Auberson et Therese Stutz, respectivement présidente et membre du comité de ProRaris.
spectra : Quels sont les problèmes au niveau du diagnostic ? Comment l’accélérer ?
Anne-Françoise Auberson: L’accès au diagnostic est une de nos priorités. Il dépend de nombreux facteurs : de la recherche médicale et des avancées en la matière, mais énormément aussi des informations disponibles. Quand un patient se rend chez son médecin de famille ou le pédiatre, ce dernier doit en effet être suffisamment renseigné pour pouvoir le diriger vers une clinique spécialisée ou engager toute autre mesure propre à lui garantir l’accès à un diagnostic.
Mais tous les patients ne sont pas logés à la même enseigne. Certaines maladies rares sont bien prises en charge, comme les maladies métaboliques ou neuromusculaires. D’autres sont laissées pour compte, et obtenir un diagnostic relève souvent du parcours du combattant. Nous espérons que la mise en oeuvre du concept national permettra d’améliorer, de faciliter et d’accélérer les diagnostics. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine.
« La plupart des malades voudraient ne plus devoir se justifier en permanence. » Anne-Françoise Auberson
Therese Stutz : Même pour les maladies rares les mieux prises en charge, il y a des difficultés, dues notamment à une capacité d’innovation qui laisse à désirer et à l’absence de coordination. La situation est particulièrement pénible pour les malades isolés, qui peuvent errer pendant cinq à trente ans jusqu’à ce qu’un diagnostic soit posé. Certes, la génétique permet des diagnostics de plus en plus rapides. Mais on est encore loin de disposer de traitements.
Auberson : J’aimerais ajouter à ce sujet que plus on remboursera les analyses génétiques, plus on accélérera les diagnostics. Sauf erreur de ma part, le plan de mise en oeuvre du concept national ne parle que de la prise en charge des analyses génétiques réalisées sur les proches de malades. Cela pourrait laisser penser que ces analyses sont déjà remboursées pour tous les malades eux-mêmes. Or c’est loin d’être le cas. Il faut le souligner.
Qui sont les personnes touchées ?
Stutz : 80 % des maladies rares sont génétiques. Dans ce cas-là, elles sont soit héréditaires, soit causées par une mutation spontanée pouvant toucher de manière parfaitement aléatoire n’importe quelle famille et conduire, par exemple, à une insuffisance rénale ou un problème au niveau des yeux. On trouve aussi des formes moins courantes, dues à un complexe très peu fréquent déclenché par une infection ou une réaction immunitaire.
Bien que certaines se concentrent sur des communautés (géographiques, religieuses, etc.) restreintes, les maladies rares peuvent toucher tout le monde, puisqu’une mutation spontanée peut se produire n’importe quand. C’est ce qu’il faut retenir en substance.
Quelles difficultés particulières les personnes atteintes d’une maladie rare rencontrent-elles ?
Auberson : Le principal problème, c’est le manque d’information, à tous les niveaux. La plupart des malades voudraient ne plus devoir se justifier en permanence auprès de leur famille, des médecins, des autorités scolaires ou de l’administration. À commencer par ne plus devoir expliquer ce qu’est une maladie rare.
Même lorsqu’un soutien psychosocial ou administratif est proposé, il est généralement mal adapté aux besoins des personnes atteintes de maladies rares. Quand le diagnostic est enfin posé, et la prise en charge en place, elles continuent de rencontrer d’énormes difficultés, notamment avec les assurances et pour s’insérer. Certes, cela vaut pour toutes les personnes handicapées. Mais tout est encore plus dur pour celles souffrant d’une pathologie rare.
Il y a aussi cette absence d’espoir de traitement commune à quasiment toutes les maladies rares chroniques. Bien sûr, nous demandons l’égalité des chances en matière de soins médicaux. Mais nous savons au fond que nous ne bénéficierons jamais de soins comparables, par exemple, à ceux des diabétiques. Chaque diabétique a accès à un spécialiste. Nous, nous devons souvent nous battre seuls, pour tout.
De quoi les personnes atteintes de maladies rares ont-elles besoin au quotidien ?
Stutz : Il est très important de leur apporter un soutien psychosocial. Mais il n’y a aujourd’hui pas assez de services au fait de leurs problématiques. Les professionnels doivent être suffisamment préparés et formés pour les aider tout en les mobilisant. Car trop d’assistance n’est pas bon non plus.
Auberson : Ce qui est positif, c’est qu’un nombre croissant de personnes touchées par une maladie rare vivent longtemps. Le traitement des symptômes s’est amélioré, si bien que, même quand il n’existe aucun traitement curatif, il est possible de soulager le quotidien des malades et d’améliorer quelque peu leur sort. C’est, je pense, un pas vers l’égalité des chances.
Ce que nous voulons, c’est une réelle coordination, incluant la résolution de la question financière. Si nous n’avançons pas à ce niveau, nous n’arriverons à rien.
Le fardeau est également énorme pour les proches des malades. Comment sont-ils soutenus par les organisations ?
Stutz : Ce sont les associations affiliées à ProRaris et dédiées aux différentes pathologies qui viennent en aide aux personnes concernées. En tant qu’organisation faîtière, ProRaris peut quant à elle intervenir auprès des personnes pour lesquelles il n’existe aucune association du fait de l’extrême rareté de leur maladie.
Auberson : Je reçois beaucoup d’appels de Suisse romande. En tant qu’interlocutrice, je fournis une certaine aide directe, ou au moins des conseils, par exemple, sur les services compétents.
Tous les proches aidants sont confrontés à de nombreux problèmes similaires. Mais pour les proches de personnes atteintes de maladies rares, les obstacles à franchir pour obtenir de l’aide sont encore bien plus importants. Les familles et les entourages doivent donc absolument être mieux informés et formés : ils doivent savoir à qui s’adresser et comment obtenir quoi et par quels moyens, par exemple où et comment déposer un recours pour ce qui a trait aux prestations d’assurance. Pour les personnes qui n’y sont pas habituées, ces démarches sont source d’immenses difficultés.
En quoi ProRaris est-elle différente d’organisations faîtières comme la Ligue contre le cancer et la Ligue pulmonaire ?
Auberson : C’est mon vœu le plus cher que ProRaris ait un jour le même statut que ces ligues. Mais nous n’avons assurément ni les mêmes ressources financières ni les mêmes infrastructures.
Stutz : Les deux ligues font partie des plus importantes de Suisse, tant en termes de nombre de membres que d’influence. Elles se distinguent déjà par leur nom, qui est aussi un atout de taille lorsqu’il s’agit de lever des fonds. La plupart des gens se sentent moins concernés par les maladies rares que par le cancer. C’est un tort. D’ailleurs, il y a de nombreuses pathologies rares parmi les affections qui concernent la Ligue pulmonaire, comme il y a de nombreuses formes rares de cancer.
La mise en oeuvre du concept national maladies rares débutée il y a deux ans prendra finalement deux ans de plus que prévu. Que vous inspire ce retard ?
Auberson : Ce retard n’a rien d’étonnant, car malgré le haut degré de convergence qui existe dans le domaine médical, les résistantes sont palpables. Elles viennent notamment des médecins de la FMH, qui, là encore par manque d’information me semble-t-il, craignent que les centres de référence ne leur fassent perdre des patients. Cette prolongation n’altère en tout cas en rien nos priorités, qui restent justement la création de centres de référence et la réalisation des principaux objectifs du concept national, à savoir l’accès au diagnostic, au traitement, au remboursement, etc.
Ce que nous voulons, c’est une réelle coordination, incluant la résolution de la question financière. Si nous n’avançons pas à ce niveau, nous n’arriverons à rien. Ce qui m’inquiète, ce ne sont pas les deux ans de retard, mais le temps qui s’écoulera ensuite jusqu’à ce que tous les patients aient accès aux soins. Je veux croire néanmoins que la coordination au niveau national portera ses fruits.
Êtes-vous satisfaites de votre collaboration avec l’OFSP ?
Auberson : L’office nous a impliqués dès le départ dans les processus du concept national et nous est d’un grand soutien aujourd’hui : son directeur, Pascal Strupler, nous a très vite invités à une première rencontre, après quoi nous avons entre autres participé à la table ronde et aux ateliers. Les autres acteurs ont mis un peu plus de temps à nous accepter, mais nous sommes désormais parfaitement intégrés.
Stutz : J’aimerais cependant que d’autres divisions de l’OFSP s’expriment davantage sur les sujets du concept national maladies rares, et pas seulement celles qui en sont directement responsables. Les personnes atteintes de maladies rares rencontrent en effet des problèmes qui concernent aussi d’autres unités et stratégies. Or je n’entends jamais parler de ces maladies lors des manifestations auxquelles je participe et où l’office intervient.
En matière de maladies rares, la mise en réseau internationale est primordiale. Quelle est la situation de la Suisse dans ce domaine ? Où se situe-t-elle et sur qui pourrait-elle prendre exemple ?
Stutz : Les échanges internationaux entre les organisations de patients que je connais sont exemplaires. Mais lors d’un récent congrès, j’ai constaté amèrement que la Suisse ne peut pas participer à l’élan bien perceptible et à l’engagement qui se font jour en Europe autour des maladies rares, puisqu’elle n’est ni membre de l’UE ni donc membre des réseaux européens de référence, c’est-à-dire signataire de la directive sur les soins de santé transfrontaliers.
Auberson : Pourtant, s’il est des patients atteints de maladies extrêmement rares pour qui la recherche de contacts à l’étranger est indispensable, que ce soit en vue d’un soutien médical ou de conseils, ce sont bien ceux qui vivent dans notre petit pays.
« La Suisse ne peut pas participer à l’élan bien perceptible et à l’engagement qui se font jour en Europe autour des maladies rares, puisqu’elle n’est ni membre de l’UE ni donc membre des réseaux européens de référence. » (Therese Stutz)
Trouvez-vous que les personnes atteintes d’une maladie rare bénéficient d’une bonne prise en charge médicale en Suisse ?
Auberson : Nous avons en Suisse un très bon système de santé. Déjà avant l’adoption du concept national, nous étions probablement plus en avance que d’autres pays dotés de concepts restés lettres mortes.
Cependant, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers, mais nous attacher à réaliser tous les objectifs assignés par le concept national. Trop de malades ne disposent ni d’un accès au diagnostic ni des connaissances, des moyens et surtout de l’assurance nécessaires pour venir à bout de tous les obstacles qui se dressent sur leur chemin.
J’en connais qui sont isolés dans leur village ou petite ville depuis des années et n’ont encore jamais osé demander une consultation externe en vue d’un diagnostic. Ces personnes ne sont pas bien prises en charge. Mais à qui la responsabilité et la faute ? Répondre à cette question est presque impossible. Pour moi, le soutien psychosocial est une nécessité absolue, complémentaire de la prise en charge médicale et du traitement.
Quelles sont les conséquences pour les malades quand un médicament dont ils ont absolument besoin n’est pas (ou plus) remboursé ?
Auberson : Les médicaments pour les personnes atteintes d’une maladie rare sont peu nombreux et ne représentent que 0,3 % du budget des assurances. La quasi-totalité des malades n’ont aucun espoir de traitement.
Mais pour tous les autres, nous demandons l’égalité des chances en matière de soins de santé. Nous y avons droit : nous payons nos primes maladie comme tout le monde. Nous demandons en outre que les soins soient adaptés à nos besoins, c’est-à-dire que les fameux critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité soient appliqués avec discernement et pèsent moins pour les maladies rares que pour les autres. Concernant l’économicité, il faudrait d’ailleurs aussi regarder du côté des prix des médicaments, qui peuvent atteindre des niveaux monstrueux. Et peut-être relativiser l’efficacité en tenant compte du fait qu’il n’est de toute façon pas question de guérison dans les maladies rares.
« Nous regrettons que les patients n’aient pas été impliqués dans le sous-projet consacré à la prise en charge des coûts. Nous considérons qu’il y a encore de la discrimination dans ce domaine.» (Anne-Françoise Auberson)
Nous regrettons que les patients n’aient pas été impliqués dans le sous-projet consacré à la prise en charge des coûts. Nous considérons qu’il y a encore de la discrimination dans ce domaine. Il est pour nous inacceptable que les assureurs-maladie évaluent les dossiers des malades sur la base des recommandations des médecins-conseils. Car il n’existe souvent, dans toute la Suisse, qu’un seul spécialiste véritablement capable de juger l’efficacité d’un médicament donné.
Le Tribunal fédéral a ainsi récemment annulé une décision du Tribunal cantonal du Tessin relative à la maladie appelée protoporphyrie. Il a considéré que le médecin traitant en cause n’aurait pas dû évaluer lui-même l’efficacité du médicament considéré, et qu’il avait agi avec partialité. Comment est-il possible de qualifier de partial ce médecin, en l’occurrence une femme, qui a tout fait pour qu’un médicament soit enfin mis sur le marché pour traiter les malades concernés ? Je peux comprendre qu’il faille un médecin neutre. Mais pas quand il n’est tout simplement pas compétent pour juger.
Il n’est pas logique non plus que des personnes affiliées à une même assurance soient remboursées dans un canton et pas dans l’autre.
Le porte-parole de santésuisse fait lui aussi part de discrimination. Il estime qu’on sollicite trop le système de solidarité en remboursant ces médicaments. Si on le suit, les assurés épargnés par les maladies rares devraient donc tous, d’un côté, bénéficier de la solidarité, mais de l’autre, il faudrait laisser tomber les personnes atteintes d’une maladie rare et arrêter de remplir les poches des entreprises pharmaceutiques.
Je pense exactement le contraire. Je crois qu’on veut nous pousser hors du système de solidarité et qu’il faut impérativement engager des discussions sur le sujet. On ne peut pas nous exclure simplement parce que nous sommes un mauvais risque. Ou alors, il faudrait faire de même avec tous les mauvais risques.
Dans quelle mesure le public est-il informé des maladies rares ? Y a-t-il assez d’informations disponibles ?
Auberson : Non. Il faudrait mener une vaste campagne, informer les professionnels de la santé, de l’assurance, de l’administration, etc. Un chantier gigantesque.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir ?
Auberson : Depuis qu’elle a été créée, notre association vit dans une situation précaire. Je voudrais pouvoir dire un jour : « ProRaris est une organisation qui défend les intérêts des personnes atteintes d’une maladie rare, qui bénéficie d’un statut solide et qui est investie de missions bien définies. » Et pour le jour où les centres de référence seront ouverts et opérationnels, nous avons déjà sur la table 10 à 15 projets qui n’attendent que d’être développés.
Stutz : L’OFSP a un rôle très important. Son engagement a du poids, et il a le pouvoir d’agir et de convaincre. On le voit bien déjà : les professionnels commencent à s’informer. J’espère que nos revendications continueront de faire leur chemin sous son égide. Après tout, il est l’autorité garante de la progression de l’égalité des chances dans le domaine de la santé.
Nos interlocutrices
Anne-Françoise Auberson
« Je préside l’organisation faîtière ProRaris depuis près de quatre ans. Je consacre beaucoup de temps à cette fonction, qui exige une grande disponibilité. Mais elle permet d’acquérir au fil des ans une vaste expertise. D’où peut-être parfois ce sentiment – confirmé par vos questions sur les maladies rares – de devoir toujours répéter la même chose, là où il faudrait résoudre les problèmes immenses et multiples auxquels nous, qui avons affaire à ces maladies depuis des années, ne cessons de nous heurter. Ma fonction m’amène à travailler à la mise en oeuvre du concept national maladies rares. J’ai déjà participé au premier atelier et peux dire à présent que nous sommes bien intégrés en tant que partenaires. Je suis moi-même atteinte d’une pathologie rare, comme plusieurs de mes proches parents. »
Therese Stutz
« Je suis médecin dans le domaine de la santé publique et souffre d’une maladie rare qui touche les os et le tissu conjonctif. C’est à l’occasion de la troisième Journée des maladies rares qu’Esther Neiditsch (alors présidente de ProRaris, NDLR) m’a convaincue de rejoindre le comité de l’organisation. Aujourd’hui, l’essentiel de ma mission consiste à mettre en réseau différents domaines et organisations. Je trouve que c’est une très bonne nouvelle, en particulier pour l’égalité des chances, que la santé publique s’intéresse à son tour aux maladies rares. Je me réjouis aussi que la stratégie MNT intègre ces affections dans les troubles musculo-squelettiques, alors que d’autres plans ne les mentionnent même pas. »