mHealth : que peuvent apporter les applications mobiles à la santé ?
Sep.. 2018mHealth
Nouvelles possibilités. L’avènement du numérique bouleverse notre quotidien, et le téléphone mobile a accéléré cette évolution : omniprésent, cet appareil fait son chemin dans la prévention et la promotion de la santé (mesure de données d’activité physique et de santé), mais aussidans la médecine au quotidien (mesure de données vitales, coordination, gestion des maladies). Les applications en médecine affichent chent un certain retard par rapport à d’autres secteurs économiques. Cela est dû pour une part non négligeable au niveau de sécurité et de protection plus élevé que requièrent les données de santé. Ce numéro de spectra donne un aperçu des possibilités d’utilisation et des défis de la santé mobile.
Dans le cadre de la Stratégie Cybersanté 2.0,1 eHealth Suisse, l’organe de coordination de la Confédération et des cantons, a été chargé d’accompagner l’introduction du dossier électronique du patient (DEP). Il a ainsi publié, en 2017, un premier ensemble de recommandations concernant la gestion des applications de santé mobile (mHealth).2 Dans la vision que porte la Stratégie Cybersanté 2.0, la population suisse est compétente numériquement et utilise de manière optimale les opportunités que les nouvelles technologies présentent pour sa santé. De même, les institutions et les professionnels de la santé sont réunis dans un réseau numérique de façon à pouvoir échanger des informations tout au long de la chaîne de traitement et réutiliser les données saisies (3).
Santé2020 et les technologies numériques
Dans sa stratégie Santé2020, le Conseil fédéral invite à développer l’utilisation des technologies numériques a n d’appuyer les processus de traitement et
d’améliorer la couverture de santé de la
population suisse. Outre la mise en
place du DEP, il prévoit des mesures
pour soutenir les développeurs d’apps
de santé mobile et demande une plus
grande transparence à l’égard des utilisateurs concernant la protection et la
sécurité des données offertes par ces
apps. La stratégie a pour objectif d’améliorer la qualité et l’ef cacité des soins,
les échanges d’informations et l’efficacité des processus liés aux soins.
Les patients pourront non seulement accéder à leur DEP, mais aussi y ajouter
des données et des documents, y compris ceux provenant d’applications de
santé mobile (apps). Cette possibilité
permettrait de poser des diagnostics
plus rapidement ou d’accompagner des
traitements au moyen d’applications
adaptées. Un exemple : l’Hôpital de l’Île,
à Berne, utilise le dispositif de soutien
Bariatrie pour assurer le suivi des
patients après la pose d’un bypass
gastrique. Plus généralement, il n’existe
pas encore de standards contraignants
pour assurer l’interopérabilité et donc
les échanges de données entre les applications de santé mobile (dans notre
exemple, entre le patient et le fournisseur de prestations).
La santé mobile considérée comme un aspect de la cybersanté
La santé mobile (mHealth) est considérée comme un domaine particulier de la cybersanté (eHealth).(4) En Suisse, on s’appuie sur la dé nition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la décrire comme « des mesures d’approvisionnement en soins privés et publics soutenues par des appareils mobiles tels que les téléphones mobiles, dispositifs de surveillance des patients, assistants numériques personnels (PDA) ou autres appareils sans fil connectés » (5).
Les nouvelles possibilités techniques ne remplacent pas un traitement médical
Dans l'exercice quotidien de la médecine, les applications de santé mobile sont utilisées pour mesurer des données vitales (comme dans l'exemple mentionnée plus haut) telles que les poules, la glycémie, la pression arterielle, le température ou l'activité du cerveau, ou encore pour rappeler aux patients qu'ils ont un médicament à prendre ou un rendez-vous chez le médecin.Ces applications peuvent également servir à
transmettre des recommandations de
nutrition ou d’activité physique. Comme
de plus en plus de gens possèdent un
smartphone, la santé mobile ouvre aux
fournisseurs de prestations des possibilités de prise en charge entièrement
nouvelles. Les apps de santé mobile ne
sauraient en aucun cas remplacer le
suivi par un médecin et la communication entre médecin et patient, mais elles
peuvent les faciliter.
Les exemples pratiques présentés dans
ce numéro de spectra donnent une idée
des développements en cours et des
béné ces potentiels pour les utilisateurs,
les patients et les professionnels de la
santé. L’avenir nous dira si la santé mobile peut contribuer à réduire les
coûts.6 Nous manquons encore, dans
bien des domaines, des données pro-
bantes qui permettraient de recomman-
der ou d’utiliser sans réserve des apps
de santé mobile en médecine. L’Université de Saint-Gall et l’EPF Zurich, par
exemple, ont obtenu de premiers résultats prometteurs avec l’app PathMate de
leur centre d’intervention en cybersanté (lire l'article « Anna et Lukas »).
Une attention particulière doit être
accordée aux « immigrants du numé-
rique », ces personnes âgées ou défavorisées pour qui les nouvelles technolo-
gies sont dif ciles d’accès (lire l’article
sur l’égalité des chances).
Pour qu’ils puissent, eux aussi, bénéficier de la santé mobile, il faut leur offrir
la possibilité d’acquérir les compétences
qui leur manquent.
Les apps de santé mobile ne sauraient en aucun cas remplacer le suivi par un médecin et la communication entre médecin et patient, mais elles peuvent les faciliter.
La santé mobile vue comme un dispositif médical
En Suisse, c'est l'ordonnance sur les dispositifs
médicaux (ODim, RS 812.213),
qui découle de la directive européenne
relative aux dispositifs médicaux (93/42/
CEE), et le guide de l'UE MEDDEV 2.1/6
qui définissent selon quels critères une
application de santé mobile est à considérer
comme un dispositif médical (c.-à-d.
comme un « logiciel médical autonome »
ou une « application médicale mobile »).
De plus amples informations sont disponibles
dans l'aide-mémoire de Swissmedic
(« Logiciels médicaux autonomes »,
voir article « Quand une application devient dispositif médical », voir l'interview avec Barbara Widmer).
En Suisse, dans l'Espace économique
européen (EEE) et en Turquie, les dispositifs
médicaux, contrairement aux
médicaments, ne sont pas commercialisables
avec une autorisation des autorités,
mais après avoir passé la procédure
d'évaluation de la conformité (certificat
ou déclaration de conformité CE). Les dispositifs médicaux commercialisés
doivent également être munis du sigle
CE.Lorsque l’on utilise des données de
santé, il faut pouvoir se fier à leur exactitude.
Sinon, il se peut que leur utilisation
soit plus néfaste que bénéfique pour
la santé des personnes concernées. La
fiabilité des données est primordiale
pour la recherche également. Il serait
donc souhaitable qu’une forme de certification
ou des labels de qualité soient
mis en place, y compris pour les apps de
santé et de fitness, afin d’assurer un
niveau de fiabilité plus élevé, à la fois
pour les utilisateurs et pour les professionnels
de la santé.
Liberté d’entreprendre contre protection et sécurité des données
Au regard de la loi, les données de santé ont un caractère particulièrement sensible. Leur protection ne saurait donc être relativisée au nom de la liberté d’entreprendre, même si les milieux économiques y voient une entrave. Il faut plutôt trouver des solutions communes pour éviter qu’une réglementation trop dense ne réduise excessivement les possibilités que la santé mobile peut offrir au système sanitaire. Cette démarche est indispensable pour avoir sur le marché des produits qui présentent un niveau de fiabilité approprié à une utilisation en santé, qui respectent les normes éthiques et assurent la protection des données. C’est également une condition pour que ce marché soit intéressant pour les fabricants. Il faut aussi prendre des mesures pour que les assurances ou les employeurs, par exemple, ne puissent pas utiliser ou revendre les données de leurs assurés ou de leur personnel. Dans ce domaine, il y a encore du pain sur la planche (lire l’interview de la spécialiste de la protection des données Barbara Widmer).
Santé mobile et sécurité personnelle
Les utilisateurs d’applications de santé
mobile devraient, aujourd’hui déjà,
observer certaines règles de sécurité
lorsqu’ils utilisent des apps à titre personnel
et, par exemple, ne pas reprendre
les données d’utilisateurs Twitter ou
Facebook. Quant aux fabricants, ils
devraient indiquer quelles données ils
conservent et où exactement, mais aussi
laisser aux utilisateurs la possibilité de
choisir quelles données ils veulent communiquer
ou non (options d’octroi et de
révocation du consentement). Or, les
conditions générales des fournisseurs
privent les utilisateurs de cette libre
détermination. Et elles sont généralement
si longues que personne ne les lit
alors que leur acceptation est obligatoire
pour accéder aux apps.
Les technologies numériques sont appelées
à jouer un rôle de plus en plus
important dans le secteur de la santé.
Pour que ce développement soit un succès
à moyen et long terme, il faut que les
utilisateurs et les professionnels traitants deviennent suffisamment experts
pour développer un sain esprit critique
vis-à-vis des applications. De même, les
concepteurs, les fabricants et les spécialistes
doivent apporter ensemble des
solutions en matière de sécurité, de protection
et de fiabilité des données qui
respectent des normes éthiques. Si ces
exigences minimales sont remplies, les
réglementations qui risquent de freiner
l’innovation ne seront pas nécessaires.
(1) eHealth Suisse : Stratégie Cybersanté Suisse 2.0
2018-2022, 1.3.2018.
(2) eHealth Suisse : mobile Health (mHealth), Recommandations
I, 16.3.2017.
(3) Stratégie Cybersanté Suisse 2.0 2018-2022, 1.3.2018, p. 4.
(4) « La ’cybersanté’ (eHealth) regroupe tous les services
électroniques de santé. Les technologies de
l’information et de la communication (TIC) sont utilisées
de façon à améliorer les processus du système de santé
ainsi qu’à mettre en réseau les acteurs concernés. »
www.e-health-suisse.ch, [état : 13.4.2018].
(5) Tiré de l’étude de la HES de Saint-Gall : mHealth im
Kontext des elektr. Patientendossiers, Eine Studie im
Auftrag von eHealth Suisse, p. VIII ; WHO World Health
Organization, in: mHealth. New Horizons for Health
Through Mobile Technologies, Geneva, 2011, p. 6.
(6) Une étude de A. T. Kearney de 2013 estime que la santé
mobile pourrait contribuer à améliorer la prise en charge
et la sécurité des patients ainsi qu’à réduire durablement
les coûts du système de santé en utilisant l’infrastructure
existante et notamment les smartphones, dans :
A. T. Kearney (2013) : Mobile Health : Fata Morgana oder
Wachstumstreiber? p. 4 (en allemand).
Source: en référence à A.T. Kearney, dans : eHealth
Suisse : mobile Health (mHealth), Recommandations I,
16.3.2017, p. 5.
Contact
Stefan Spycher, vice-directeur et responsable de l'unité de direction Politique de la santé, stefan.spycher@bag.admin.ch